ADDEAR de la Loire

L’empire de l’or rouge

"Il n’y a pas de démocratie de l’alimentation. Quand vous mangez du ketchup, vous n’avez pas le droit de savoir ce qu’il y a dedans. Le seul moyen pour plus de transparence, c‘est le combat politique." (Jean-Baptiste Malet)

"Le ketchup Heinz est un véritable concentré du capitalisme industriel. La matière première de cette sauce qui irradie le monde entier n’a plus grand-chose à voir avec la tomate qu’on propose sur nos étals de marché. La tomate d’industrie a été sélectionnée par des agronomes pour survivre à de longs trajets au fond d’une benne, pour avoir le rendement le plus élevé possible à la transformation, et pour être adaptée à la récolte mécanisée. Le goût n’a vraiment pas été un critère déterminant dans les choix de sélection !

C’est aussi un produit qui s’est avéré innovant dans les formes d’exploitation de la main d’œuvre. Les premières chaînes de montage des conserves de tomate ont précédé celles de la Ford T. Dans les champs, les firmes agro-industrielles ont toujours su tirer profit (ou organiser) des flux migratoires pour disposer d’une main d’œuvre à bas prix, et quand les revendications sociales et salariales des travailleurs deviennent trop « exigeantes », on mécanise les étapes culturales !

En troisième lieu, la conserve de tomate voyage beaucoup. Les principales zones de culture se trouvent actuellement en Chine (où on consomme par ailleurs peu de tomate), tout comme les premières usines de transformation, qui élaborent le double ou le triple concentré. Les barils sont reconditionnés en Italie, et les petits pots aux jolies étiquettes tricolores sont ensuite exportées dans le monde entier, du Groenland au village le plus reculé du Népal. Produit de base de la consommation de masse universelle, le concentré de tomate est devenu en quelques décennies un ingrédient incontournable de la « junk food » comme de la plupart des plats traditionnels !

Enfin, l’éthique d’une bouteille de ketchup est aussi pure que celle du capitalisme. Dans les usines chinoises, on n’hésite pas à saupoudrer les cuves de glutamate, de lécithine de soja, de colorants, de toutes sortes d’ingrédients qui n’apparaissent pas sur l’étiquette. On reconditionne des lots périmés auxquels on donne une seconde jeunesse à grands renforts d’adjuvants. Quand il faut tirer sur les coûts de production, des prisonniers ou des enfants font aussi bien l’affaire que des ouvriers embauchés avec un contrat. Même la mafia trouve son intérêt dans ce juteux commerce qui brasse des milliards d’euros chaque année (et dont les conséquences pénales sont beaucoup moins lourdes qu’avec la cocaïne).

Des champs du Xinjiang aux usines, des terminaux portuaires aux marchés boursiers, des salons du machinisme agricole aux marchés du Ghana, en passant par Le Cabanon en Provence, l’enquête de Jean-Baptiste Malet nous invite à suivre, à travers le périple de cette Solanacées, une métaphore du capitalisme industriel. Les derniers perdants de ce jeu sordide sont les petits producteurs paysans du Sénégal et du Ghana, qui cultivaient quelques arpents de tomate pour le marché local. Ruinés par la concurrence des petites boîtes de conserve, ils se retrouvent, ouvriers migrants illégaux sous-payés et surexploités, à ramasser des tomates dans les serres espagnoles et italiennes.

A lire absolument, pour comprendre ce qu’on combat."

Source : La Mauvaise Herbe (journal de la Conf’ Drôme), Mars 2018. Rédaction : Margot Jobbe duval.


Aller plus loin

A écouter : Les fruits du capitalisme (2/4) - Le ketchup, un concentré de capitalisme dans "Entendez-vous l’éco" de Maylis Besserie, 15/5/2018 sur France Culture

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Source : La Mauvaise Herbe (journal de la Conf' Drôme), Mars 2018. Rédaction : Margot Jobbe duval.