ARDEAR CVL - Un réseau engagé et militant pour l'Agriculture paysanne

Paroles de paysannes : Marylène (Mary)

TÉMOIGNAGE de Mary TARDIF-BONNEAU, paysanne boulangère à Amilly (Loiret)

« J’ai 3 beaux enfants avec Loulou, mon compagnon. J’habite à Amilly (Loiret) dans l’ancienne ferme familiale de Louis-Marie, dit Loulou. Ville de 13 000 habitants du Montargois à l’Est du département, dans le Gâtinais.

📍 L’histoire commence
A la création de la première AMAPP du Gâtinais en région Centre (2004), j’aide à faire le fromage dans la ferme de Loulou et de son frère à Lorris. J’y découvre la vente directe avec ce lien entre consomm’acteurs et producteurs, une approche nouvelle et respectueuse des divers acteurs de la société. Adhérente et active dans l’association, j’assiste à une conférence sur le changement climatique et en même temps je suis à la recherche d’un nouvel emploi en parcourant les couloirs de l’ANPE.

📍 Un déclic : « Comme une évidence je vais faire du pain »

2006, je suis licenciée à la suite de la fermeture de l’entreprise où je travaillais à temps partiel en tant que secrétaire/comptable. Mon projet est simple, passer un CAP de boulanger, construire un fournil dans l’ancienne étable et vendre le pain. Tout était possible. Je découvre le genre humain, les relations avec les conseillers de l’ANPE ne sont pas toujours faciles. Avec la quatrième conseillère, ouf ! nous nous comprenons, une confiance s’installe et nous pouvons enfin travailler ensemble. Puis j’entre en formation à Tours et Blois.

2007, je me forme au métier de boulanger sur 6 mois en passant un CAP de boulanger et fais du pain dans un fournil 3 nuits par semaine pour mettre en pratique les cours théoriques.
Avril 2008, les travaux du fournil sont finis, les premiers pains vont être vendus à l’AMAPP du Gatinais (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne et de Proximité).

En 2011, Loulou me rejoint dans l’activité en y apportant 20 ha puis 4 ha en 2016. Je suis salariée et lui paysan (entreprise individuelle). Nous installons la meunerie et des entrepôts de stockage. Nous faisons du pain pour les AMAPPs, deux magasins, la vente au fournil et la vente au marché de Montargis...
Heureusement la motivation, la joie et les encouragements des uns et des autres nous portent mais dans le fournil nous sommes seul·es à faire le travail, c’est en expérimentant que j’apprivoise le métier. Il est beau mais dur physiquement, Je n’avais pas bien mesuré au début et quand s’ajoutent des problèmes de santé, c’est le bouquet ! Nos cailloux dans les chaussures s’installent et nous devons faire face malgré tout. L’engagement dans les AMAPPs c’est une tournée vendue mais un stress, les produits sont pré-payés alors on fait même si c’est exténuant ?

📍 L’histoire se poursuit
Le premier janvier 2022, je reprends la ferme de Loulou cultivant 24 ha avec un atelier de meunerie et un fournil. Jeune installée mais expérimentée dans l’activité de la panification depuis 14 ans.
Le titre de cheffe exploitante ne me correspond pas, "paysanne" et "faiseuse de pain" est plus approprié, convenant mieux à mon rapport à la nature : je l’ensemence et elle me donne en abondance. Il ne s’agit pas d’exploiter mais de faire valoir.
Ce que cela a changé pour moi : je découvre un système lourd de gestion, des partenaires et organismes, notre passation est simple, pas de rachat de capital et d’emprunts à faire mais tout de même le côté administratif est pesant. Je suis écœurée pourquoi autant de paperasse ? Mon idéal de vie est la simplicité et l’efficacité. Sur notre ferme nous travaillons à 3 ce qui représente 2,2 unités de travail humain. »

C’est quoi mon métier.

Comme vous pouvez le voir, la paysanne et faiseuse de pain exerce plusieurs métiers à la fois. Mes journées sont donc variées au sein de la ferme : selon l’heure, on va me trouver dans les champs, sur un tracteur, au moulin, au fournil, au bureau ou à la vente. Sans compter tous les petits travaux “d’à côté” : réparation, amélioration d’un outil, réflexion à la production, modification des recettes, etc. Il va sans dire qu’une journée au fournil ne s’improvise pas ! Avant de pouvoir pétrir et enfourner notre précieux pain, une longue préparation est nécessaire.
Être paysan boulanger c’est donc, comme tous les paysan·nes de la terre, travailler avec la météo et faire face aux aléas. Par exemple, l’automne 2017, le Loiret a été très pluvieux et les créneaux pour semer le blé d’hiver ont été quasi-inexistants.

📍 Les quatre métiers du paysan et faiseuse de pain : du champ à l’étal
Avant de s’installer en tant que paysan·ne et faiseuse de pain il faut bien avoir en tête qu’on ne se lance pas dans un métier... mais dans trois voire quatre métiers bien différents :
🌾 céréaliculteur·trice,
🌾 meunier·ère,
🌾 boulanger·ère (parfois aussi biscuitière)
🌾 et enfin vendeur·se.
Les paysans·ne·s boulangers·ère·s réalisent toutes les opérations conduisant à la production du pain, jusqu’à sa vente.

La céréaliculture nécessite la mise en pratique de connaissances techniques et agraires adaptées à son environnement et à la qualité du pain souhaitée. La plupart des paysan·ne·s boulanger·ère·s suivent les principes de l’agriculture biologique et optent pour le label, mais cela reste une option. Les variétés de blé anciennes sont assez populaires car elles sont nombreuses et certaines variétés sont bien adaptées au sol que l’on cultive et à son climat. D’autres espèces sont régulièrement cultivées pour diversifier la gamme de pain, comme l’engrain, l’épeautre, le seigle, le sarrasin, etc.

Dans l’activité de meunerie, les grains doivent être triés et bien souvent brossés, s’il y a la de poussière dans la récolte. Le grain propre est ensuite stocké dans un ou des silos permettant de le préserver et de l’utiliser tout au long de l’année. La mouture est faite à l’aide d’un moulin et d’une bluterie (tamis). J’ai opté pour un moulin Astrié : ses deux meules de pierres en granit n’écrasent pas le grain et n’échauffent pas la farine. Il permet ainsi de préserver les vitamines et minéraux de celle-ci, la rendant plus nutritive et digeste. On obtient alors qu’un seul type de farine (en fonction du tamis choisi – souvent de la T80), mais qui est largement suffisant pour la confection de nombreux pains.

La panification est l’activité phare chez nous, c’est l’étape où l’on passe d’un produit brut à un produit fini, visible et consommable par nos mangeurs·euses de pain. Les pratiques boulangères sont nombreuses, il en existe presque autant qu’il existe de paysan·nes boulangers·ères. Le choix des farines, leur mélange, les quantités d’eau et de graines, les temps de pousse (fermentation), la forme du pain ainsi que la cuisson sont des choix très personnels qui dépendent du goût et de l’envie de chacun.

Dans notre fournil la fabrication du pain au levain naturel a été choisie dès le départ. Le levain est privilégié car il est facilement entretenu et donne une saveur typique au pain. De plus, il lui confère une bonne conservation comparée à des pains à la levure possédant des temps de pousse très rapide. Son travail est cependant plus délicat car il est plus sensible aux variations de son environnement et sa fermentation est plus lente, ce qui implique des temps de pousse plus longs.
Le pétrissage de la pâte est réalisé dans un pétrin mécanique. La cuisson est réalisée dans un four Sébastia chauffé au bois, four à chauffe indirecte.

La vente est la dernière étape. Enfin nous sortons de notre fournil pour aller à la rencontre des gens, des mangeurs de pains curieux de nos pratiques, de nos choix et nos convictions. Le parfum, le goût et la texture composent un ensemble des saveurs qui rend unique le pain que nous faisons. Autant de pains que de faiseur·euses de pain !

Relation privilégiée avec les mangeurs de pain.
A chaque pain donné en main propre, c’est un regard, c’est un remerciement, c’est un sourire, c’est une question, c’est une nourriture matérielle et spirituelle, c’est un symbole, c’est un choix politique, c’est local, c’est un aliment naturel... Le contact avec son mangeur crée une relation sincère et authentique. C’est plus qu’une vente, c’est une toile humaine tissée au fil du temps.

📍 Belles rencontres en lien avec mon métier
Cet engagement sur notre territoire Gâtinais, au plus près de la nature, nous le partageons et le faisons fructifier dans des groupes de travail :
🌾 un projet de recherche scientifique associant une trentaine de boulangers
🌾 paysans et chercheurs autour de l’analyse des levains, des farines, du blé
🌾 un groupe d’échanges d’expériences au sein de la coopérative Oxalis
🌾 et une micro-filière de céréales au sein de l’Association Régionale pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural (ARDEAR).
« Notre fournil est devenu un laboratoire d’expérience grandeur nature »
Je suis bien occupée, non-isolée du monde, j’harmonise mon quotidien du mieux que je peux, selon mon inspiration du jour, en tenant compte de mes limites. Grâce à ce métier, j’apprends chaque jour quelque chose qui me construit, qui me met en joie et qui confirme que la vie est faite de petites choses qui forment un tout. »


Si vous souhaitez témoigner de votre expérience, vous pouvez écrire à l’adresse communication@ardearcentre.org

Pourquoi un appel à témoignages ?
 Pour faire suite au #8mars : journée internationale de lutte pour les droits des femmes
 Donner de la place et de la visibilité aux paysannes pendant tout le mois de mars (et après !)
 Mettre en récit la pluralité des parcours des femmes paysannes
 Proposer de nouveaux imaginaires et permettre aux femmes et minorités de genre qui souhaitent s’installer de s’identifier et s’inspirer !

Merci à nos financeurs :

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